De grands progrès sont réalisés dans la qualité de la conception des programmes, reflétant une meilleure compréhension de la complexité du changement social. Traduire cette compréhension en pratiques de programmation adaptative pendant la planification et le suivi reste un défi, compliqué par des systèmes de contrôle rigides et la difficulté de faire pleinement confiance à vos partenaires.
La programmation adaptative dans la conception, mais pas dans la pratique
Il était une fois un programme de développement visant une démocratisation inclusive en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Il travaillait par l'intermédiaire d'un réseau d'organisations partenaires dans les pays du programme, sur la base d'une théorie du changement (TdC) solide et élaborée, couvrant les changements systémiques et comportementaux souhaités chez les acteurs clés. Avec la TdC comme cadre d'orientation, les partenaires de mise en œuvre ont élaboré des plans annuels indiquant la nature et le nombre d'interventions prévues, ainsi que des estimations budgétaires. Deux fois par an, ils ont rendu compte des progrès accomplis dans la réalisation de leurs plans, y compris une analyse de l'écart entre les interventions réelles et prévues, et les résultats. Dans la plupart des pays, cet écart était important mais généralement accepté comme quelque chose d'attendu lorsqu'on travaille sur une question complexe. Une nouvelle année commençait, le cycle de planification et de mise en œuvre était répété, en tenant compte des changements contextuels et des expériences de l'année écoulée.
Tout allait bien jusqu'à présent, ou du moins c'est ce qu'il semblait, car tous les partenaires acceptaient et suivaient le mouvement, comprenant la nécessité de plans et de rapports réguliers comme base pour l'allocation des fonds et la responsabilité. Dans le même temps, des doutes persistants subsistaient quant à l'efficacité du programme. Des questions - telles que : faisons-nous des progrès significatifs, progressons-nous assez vite, et qu'apprenons-nous pour progresser plus vite ? - revenaient sans cesse sans réponses convaincantes. En outre, la planification annuelle est devenue un rituel obligatoire, de plus en plus perçu comme une formalité déconnectée de la réalité.
Reconnaissez-vous quelque chose de ce qui précède ? Dans notre travail d'évaluateurs, nous rencontrons des conceptions de programmes qui sont soigneusement pensées avec des théories du changement (TdC) avec des voies de changement claires et interconnectées basées sur les acteurs. De telles TdC rendent beaucoup plus justice à la réalité que les cadres logiques antérieurs, qui simplifiaient souvent un changement social complexe en une logique linéaire en trois étapes, avec certaines hypothèses qui devaient se vérifier. Ainsi, de nombreux progrès peuvent être constatés dans la qualité de la réflexion sur la conception des nouveaux programmes.
Cependant, dans de nombreux programmes, ces progrès s'évaporent lorsqu'il s'agit de transformer la conception du programme en plans opérationnels et en systèmes de suivi. Soudain, la pensée linéaire est de retour, impliquant la prévisibilité des actions et des effets qui, nous le savons, n'existent pas dans une réalité complexe. Par conséquent, les résultats du S&E révèlent des différences substantielles entre ce qui est prévu et la réalité, ce qui est accepté comme une conséquence logique des changements imprévus et de la progression des connaissances. Et en effet, peut-être que beaucoup de ces changements n'auraient pas pu être prévus. Toutefois, ce que l'on peut prévoir après 60 à 70 ans de coopération au développement, c'est qu'il y aura des changements. Ce qui va changer est incertain, l'occurrence du changement ne l'est pas.
Démontrer des progrès significatifs
L'histoire ne s'arrête pas là. Un examen des performances du programme a conclu que le programme avait échoué si on le jugeait en fonction de ses indicateurs de résultats initiaux. Toutefois, si l'on se réfère aux signes réels de progrès vers la réalisation de ses ambitions globales, l'examen a révélé que le programme était plutôt réussi. La direction du programme en a conclu que sa programmation minutieuse et consciente de la complexité méritait d'être suivie de pratiques de planification et de suivi plus souples et plus adaptables. En d'autres termes, l'adoption d'un concept qui existe depuis un certain temps mais qui n'est pas assez mis en pratique : la programmation adaptative.
Mettre l'adaptation en pratique
Alors, qu'est-ce que cela signifie dans la pratique ? Comment l'organisation évolue-t-elle vers une programmation adaptative ?
Ils conservent le même cadre de référence global comme point de départ. Ensuite, les partenaires entreprennent une analyse de l'économie politique spécifique au pays pour adapter le cahier des charges au contexte, en identifiant et en hiérarchisant les ajustements nécessaires et les acteurs clés. Ensuite, les résultats sont formulés sous la forme des changements de comportement souhaités des acteurs ciblés (3 à 5 groupes d'acteurs par pays). Pour chaque acteur, une stratégie d'intervention axée sur les résultats est formulée. Cette stratégie vise à inclure trois types d'extrants considérés comme nécessaires et réalisables dans la poursuite de ce changement de comportement (c'est-à-dire le renforcement des capacités, la création d'opportunités et l'influence sur la motivation1). Pour chaque résultat, les partenaires de mise en œuvre peuvent choisir parmi un ensemble de services, notamment la fourniture de ressources, la facilitation, la formation, le conseil et le courtage. Les plans annuels offrent des choix indicatifs quant à l'échelle et aux types de services à fournir, mais les partenaires ont l'autonomie d'adapter leurs choix comme ils le jugent nécessaire. Pour cela, les partenaires se voient allouer un budget global avec de larges catégories de coûts et des paramètres clairs en termes de dépenses indirectes et directes.
Cela ne signifie pas que les partenaires peuvent faire ce qu'ils veulent, puisqu'ils acceptent de rendre compte et d'être responsables des choix effectués et des ressources utilisées. Ce mécanisme de responsabilisation est complété par un système de suivi orienté vers l'apprentissage, destiné à saisir les progrès significatifs vers un changement de comportement, ainsi qu'une réflexion sur l'effet des adaptations et les leçons à en tirer.
Conditions préalables au succès
Est-ce vraiment si simple ? Oui et non. Oui, parce que les mécanismes de mise en pratique de la programmation adaptative sont assez simples. Et non, parce que la réussite de la programmation adaptative exige des conditions préalables moins simples et moins directes, notamment lorsque les systèmes de coopération existants sont principalement conçus pour contrôler et minimiser les risques.
En bref, parmi ces conditions préalables figurent :
- Les partenaires doivent adopter un état d'esprit d'"échec en avant". Accepter que les TdC soient des ensembles d'hypothèses à essayer et à tester dans un contexte en constante évolution. Les adaptations ne sont pas un signe d'échec ou de changement de cap mais sont essentielles pour produire des résultats significatifs. Il faut les encourager, les expliquer et en tirer des leçons plutôt que de les justifier.
- Les organisations ont et démontrent une capacité d'adaptation. La capacité d'une organisation ne se mesure pas à ce qu'elle sait, mais à la manière dont elle apprend et s'adapte.
- Un sens de la responsabilité "conjointe" alimenté par une compréhension et une pratique claires de la responsabilité mutuelle pour les choix effectués et les ressources utilisées.
- Une confiance suffisante et un partage honnête de l'information, qui ne peut se construire qu'avec le temps, en offrant la garantie que l'information est utilisée pour l'apprentissage et non pour des sanctions.
En conclusion, la programmation adaptative n'est pas un état de fait, elle nécessite la mise en place de décisions de gestion. Elle est le résultat d'un accord collectif entre partenaires pour s'engager dans un processus qui se concentre sur la réalisation, la saisie et l'apprentissage de progrès significatifs. Tout cela, dans des circonstances difficiles et imprévisibles, en restant vigilant et en s'adaptant.